Cette nouvelle a été lauréate du concours “Histoires Étranges” émis par la maison d’édition Lomini Books (Floride) qui promeut en français et en anglais la culture Haïtienne aux États-Unis.
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Policiers, essais, science-fiction, romance, fantasy, aventure, horreur, espionnage, biographies, contes, chroniques : la pile de livres sur la table basse s’élève à plus de deux mètres. Daël a fait le plein sur internet et en ce premier jour de vacances, il salive du plaisir anticipé de ces sensationnels récits.Il s’est installé confortablement dans son fauteuil, bières et cigarettes à portée de main et prend son temps pour choisir un premier ouvrage. Daël adore lire et l’année écoulée, sa contribution à un projet informatique pharaonique lui a laissé peu de temps pour se livrer à sa passion. Il est en manque de lecture. Fébrile, il hésite entre plusieurs genres pour démarrer cette semaine entièrement dédiée au bouquinage. Il se décide finalement pour un polar au titre noir, annonciateur de crimes dans l’ombre et de frissons. Sagement, pour s’accorder une entame en douceur, il lit le quatrième de couverture et se laisse séduire. Il se cale plus profondément dans le fauteuil et avec un soupir de contentement tourne la page de garde. Il sourit de bonheur et concentré, plonge dans l’intrigue.
Passé le quart du volume peu épais, une sensation désagréable l’assaille. Oui ! Bien sûr ! Le motard renversé qu’on a laissé crever sur le bord de la route et que des gosses découvrent, la fille prisonnière qui essaye de s’échapper des griffes implacables du malade mental, le flic alcoolique qui a tué son coéquipier…
— Merde ! pense-t-il, je l’ai déjà lu.
Il se souvient de la fin un peu ratée, il avait deviné qui était l’assassin, de la scène décalée du cimetière, de la très bonne tirade du tueur dément au moment de sa mort… « C’est vraiment dommage » pense-t-il. Un peu déçu, il pose le bouquin inutile à côté du tas de livres et s’allume une cigarette. Il aspire une bonne bouffée et exhale longuement en fermant les yeux. Il ne veut pas cette fois précipiter son choix. Après avoir longuement négocié avec lui-même, il opte pour un roman de science-fiction à la couverture magnifiquement illustrée dont, il en est sûr, il ne se souvient pas. Comme pour le polar, il prend le temps de lire le résumé au dos de l’œuvre, puis, avec un air satisfait il entame sa lecture.
Cette fois-ci, il est freiné dans son élan dès la dixième page. Cette histoire, il la connaît. Evidemment. Le contrebandier de l’espace qui s’avère être une femme, la drogue qui transforme les toxicos en zombie, les nanobots qui dévorent les vaisseaux spatiaux.
— Putain, mais c’est pas possible ! Je suis con ou quoi ? Je n’ai acheté que des bouquins que j’ai déjà lus alors !
Franchement contrarié, il place le volume SF lu sur le roman policer. Un peu abattu d’un si mauvais départ, il décapsule une cannette de bière et boit quelques gorgées fraîches pour se rasséréner. Il s’étire et d’une main ferme agrippe un roman d’aventure qu’il hésitait à choisir précédemment. Le titre ne lui dit franchement rien. « Les Péripéties d’un Chenapan au Zimbabwe » : pas terrible mais c’est certain, il ne l’a jamais feuilleté de sa vie. Dubitatif malgré tout, il compulse le sommaire ; et là, surprise, tout lui revient en bloc. Les bidonvilles d’Harare, anciennement Salisbury, l’opération Murambatsvina, Robert Mugabe… De rage il jette le bouquin à travers la pièce. Ce qui se passe ensuite, n’est que frénésie et rage. Daël saute nerveusement d’une publication à l’autre. La biographie de Vercingétorix, déjà lue ! Poubelle ! Les tribulations du barbare et du nain dans les steppes d’Oragunagun, déjà lues ! Poubelle ! Les chroniques politiques de l’humoriste de service, déjà lues ! Poubelle !
Ce que Daël ne comprend pas, alors que la pile de bouquins diminue, c’est comment il a pu n’acheter que des livres qu’il avait déjà lus. Il n’est pas stupide à ce point quand même. Un à un les volumes pleuvent dans l’appartement. Enfin, dernière œuvre de sa sélection, un roman d’espionnage, le cœur de Daël tambourine dans sa poitrine. Le suspense ne dure pas bien longtemps car dès les premières lignes, il se souvient de l’intrigue, comme s’il l’avait lu la semaine dernière. De rage, il déchire le bouquin et il se décapsule une nouvelle bière. Il l’entonne d’une seule et longue goulée. Il soupire, infiniment triste. Subitement, comme possédé, il enfile ses chaussures et son manteau et en un coup de vent le voilà qui dégringole les escaliers. Déterminé, il se rue à la librairie la plus proche de son domicile. A peine entré, il se précipite vers une vendeuse souriante et comme un cri de désespoir l’implore :
— Où sont les nouveautés ?
Décontenancée, la femme tend son doigt vers l’étal où s’amoncellent les dernières sorties cernées des bandeaux rouges racoleurs des éditeurs. Daël se jette sur le premier à sa portée. Déjà lu ! Son voisin : déjà lu ! A gauche : déjà lu ! Derrière : déjà lu ! Déjà lu ! Déjà lu ! Déjà lu ! Déjà lu !
Sans s’apercevoir du regard indigné des clients, il balance un à un les écrits sans intérêt par-dessus son épaule. Un vendeur, un peu plus courageux que ses collègues finit par l’attraper par le bras et le tire sans un mot mais fermement vers la sortie. Sur le trottoir Daël esquisse un geste d’excuse maladroit. Malgré son calme apparent, il bouillonne de l’intérieur. Il parvient à conserver un certain contrôle car plus forte que sa colère l’incompréhension le dévore. Il voudrait décrypter ce qui lui arrive. D’une main tremblante, il tend au détaillant le dernier volume consulté, mystérieusement demeuré dans sa main. Honteux, il s’enquiert :
— Il est sorti quand celui-là ?
— Hier ! Partez maintenant, sinon j’appelle les flics !
Dire que Daël est effondré serait un euphémisme. Il se sent dépassé, irréel, vide… Plus rien n’a de sens. Il reste un long moment sur le pavé à s’apitoyer sur son sort. Comme à son habitude en pareil cas, il songe au réconfort que pourrait lui apporter son amie Valentine. Il a tant partagé avec elle durant ces vingt dernières années… Il hésite un peu car elle risque de le prendre pour un dingue mais tant pis. Leur amitié devrait y survivre. Dégainant son portable, il appuie fermement sur le raccourci de sa vieille complice.
— Allo Valentine ?
— Salut Daël ! Quel bon vent ?
— Il faudrait que je te voie maintenant. J’ai un gros problème.
— Encore un problème ! Tu es abonné, on dirait, plaisante-t-elle. Là, je suis au boulot, mais ce soir pas de souci. On n’a qu’à se boire une mousse au café du Commerce. Disons vers 20 heures, le temps que je passe me changer.
— C’est urgent, quémande-t-il. Tu ne peux pas plus tôt ?
— Tu es chiant quand tu t’y mets !
La négociation dure un moment et rendez-vous est finalement pris pour 19 heures.
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L’après-midi qui s’ensuit est un des plus longs de sa vie. Daël pour se distraire écoute de la musique classique pour s’adoucir les mœurs en buvant des bières pour se vider la tête. Il se détend un peu mais le temps ne passe pas. Pour tromper l’angoisse, il s’attable au café du Commerce dès 17 heures et continue à s’enfiler des binouzes. A 19 heures précises, la ponctuelle Valentine, encore vêtue de son tailleur d’executive woman, le rejoint ; de circonstance, son sourire triste et son regard concerné l’accompagnent.
— Alors qu’est-ce qui t’arrive mon gros biquet ? se moque-t-elle. Encore un chagrin d’amour ?
— En quelque sorte, avoue Daël.
Sans plus de préliminaires, il lui déballe, sa lamentable aventure de la journée. Sans l’interrompre, Valentine l’écoute, attentive, mais un peu amusée tout de même, jusqu’à la fin grotesque de son épopée. Il faut bien dire que les nombreuses bières que Daël s’est englouti, ajoutent un ton alcoolisé pathétique au ridicule de sa situation.
— Tu te fais un mauvais film, affirme-t-elle. Ce n’est pas possible que tu aies lu tous les livres. Tu es frappé d’une crise « d’analogite » aiguë. C’est vrai, il n’y pas tant de thèmes de fictions qu’on pourrait l’imaginer : vengeance, initiation, passion, traitrise… Il n’y a plus que la forme qui permet de différencier les romans. Toutes les histoires ont déjà été écrites, on n’en lit que des réinterprétations, des actualisations, des mises aux normes…
— Je ne crois pas, se défend Daël. C’est trop précis comme souvenir. Je connais les noms des personnages et des lieux, l’identité des assassins, de leurs complices, le détail de tout ce qui advient…
— En ce cas, pour te rassurer, tu devrais essayer les ouvrages techniques du style : l’arboriculture pour tous ou la taxonomie selon Linné. Tu en auras le cœur net.
— Tu as raison Valentine. Comme d’habitude ! Je dois me faire un film. On y va ?
— Où ça ?
— Sur les Champs-Elysées ! Il est 20 heures et il n’y a plus que là où je suis sûr de trouver un débit de bouquin ouvert. Tu viens avec moi ?
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Le rayon ouvrages techniques est quasiment désert. Valentine saisit au hasard un épais traité sur le langage C#. Bien sûr Daël ne connaît pas par cœur les lignes de code qui émaillent le bouquin, en revanche il est capable de citer les exemples qui sont décrits dans l’ouvrage ainsi que les grands principes de leur mise en œuvre : les syntaxes, les classes, les types génériques, jusqu’à la programmation d’un petit jeu en annexe.
— Ca ne compte pas Daël, objecte Valentine. C’est trop facile, tu es informaticien !
— Je te jure que je n’ai jamais programmé en C#.
Dubitative, elle repose le volume sur les rayons et s’empare alors d’un livre d’économie. Fonction d’utilité, aversion pour le risque, boîtes d’Edgeworth… Daël connaît tout ça par cœur. Algèbre : théorème de Cayley-Hamilton, matrices carrées, valeurs propres… Idem. Chimie : pH, autoprotolyse de l’eau, phénolphtaléine… Dito. La soirée se poursuit, de matière en matière : tectonique des plaques, médecine, biologie, peinture, géographie, histoire, musique… Daël s’avère être une véritable encyclopédie. Valentine est médusée, mais ne s’avoue pas vaincue. Au rayon littérature étrangère, elle se saisit d’un bouquin en japonais.
— Et celui-là, tu l’as lu ? demande Valentine, un peu exaspérée.
— Il me semble, dit-il en feuilletant le livre, oui, ça me dit quelque chose…
— Tu as dû lire une traduction alors, car tu ne sais pas déchiffrer le japonais non ?
— Eh bien en fait, je lis le japonais, mais je l’ignorais jusqu’à présent.
— Tu te fous de ma gueule parce que je ne peux pas vérifier, c’est ça ? Tiens ! Prend plutôt cette histoire en grec, je sais lire le grec, je pourrai vérifier que tu ne te moques pas de moi.
— Mais je ne moque pas de toi. D’ailleurs, ton bouquin en grec, je l’ai déjà lu. Ca raconte l’histoire d’un Athénien pendant la première guerre mondiale, les Dardanelles, l’entrée dans la guerre, le renversement de Constantin Ier, le front en Macédoine…
— Fais-voir ! dit Valentine en lui arrachant le livre des mains. Je vais vérifier.
Elle vérifie, puis pousse un soupir de découragement. Elle repose le roman sur le rayon et lève les bras en signe de reddition.
— Je m’avoue vaincue, fait-elle. Ton cas est bien au-delà de mes compétences. Tu devrais voir un médecin, un psychiatre préférablement.
— Ne sois pas méchante s’il te plaît, l’implore-t-il. Tu ne peux pas me laisser tomber comme ça. J’ai peur moi.
— Je ne te laisse pas tomber, proteste-t-elle. C’est juste que tout ça me dépasse. Si tu veux, je t’accompagnerai chez le toubib. Peut-être que tu souffres d’une affection connue. Quelques médocs et tout reviendra à la normale.
— Ca m’étonnerait ; mais, comme je n’ai pas mieux à suggérer, je vais t’écouter : j’irai chez le Docteur demain. Tout seul ! Comme un grand ! Bon ! Il est tard, je te raccompagne. Je t’appelle pour te tenir au courant.
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— Asseyez-vous Daël, je vous en prie.
— Merci Docteur !
— Alors, qu’est-ce qui vous amène ?
— Et bien voilà Docteur, il m’arrive quelque chose de très bizarre.
— Je vous écoute !
— Pour faire court, j’ai déjà lu tous les livres.
— Tous les livres ? s’étonne le Docteur. C’est difficilement concevable. Et vous avez ce sentiment depuis quand ?
— Ce n’est pas un sentiment, c’est la plus stricte vérité. Au sens littéral : j’ai lu tous les livres. Tous les livres, vous m’entendez ?
Gardant son calme, malgré la véhémence de Daël, le Docteur poursuit.
— Bon, écoutez ! Je ne crois pas que votre cas soit de mon ressort. J’ai un confrère psychiatre, ami de longue date qui pourra vous recevoir. Je vous fais immédiatement une petite lettre que vous lui remettrez. Ne vous inquiétez-pas, il s’agit sûrement d’un peu de surmenage, mais je préfère vous envoyer à un spécialiste.
— C’est tout ? s’indigne Daël. Je vous dis que j’ai lu tous les livres et vous n’essayez même pas de me tester pour voir si je vous raconte des salades ?
— Ecoutez, Daël ! Je vous suis comme patient depuis bientôt dix ans. Une ou deux bronchites, la grippe, une gastro, les rappels de vaccin, la routine quoi ! Ça, je sais faire. Que vous soyez persuadé que vous ayez lu tous les livres est sans doute un cas d’école passionnant mais pas pour un généraliste. C’est pour cela que je vous adresse à mon ami psy, voici son adresse. Et attendez ! Tant que vous êtes là et comme vous avez l’air inquiet, je vais vous prendre rendez-vous avec lui tout de suite.
Le Docteur dialogue brièvement avec son collègue, Daël ne proteste pas. Le rendez-vous est pris pour le jour même en fin d’après-midi. Le Docteur reprend :
— Je ne vous donne aucune prescription, vous verrez avec votre psy, sourit-il. En attendant détendez-vous, respirez et gardez votre calme. Tout va s’arranger, je vous l’assure.
— Merci Docteur. Vous savez, j’ai de grosses angoisses. Vous n’avez pas une idée pour tromper l’attente en attendant le rendez-vous de ce soir.
— Je ne sais pas moi, avoue le Médecin. Puisque vous avez lu tous les livres, peut-être que vous pourriez en écrire un ? Puisque vous ne l’avez pas encore écrit, vous ne pouvez pas l’avoir déjà lu, non ?
— C’est un très bonne idée. Je vous promets d’essayer.
— 35 Euros !
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Attablé devant son ordinateur, Daël tente de tenir la promesse faite au médecin. Malgré ses efforts, la fenêtre du traitement de texte reste désespérément vide. Pas si simple. Par où commencer ? Alors que l’inspiration semble ne jamais vouloir montrer son nez, une idée toute simple éclaire Daël.
— Je n’ai qu’à raconter ce qu’il m’est arrivé depuis hier, se dit-il. C’est une histoire assez étrange pour faire un bon sujet.
Frénétiquement, il se met à taper sur son clavier.
L’HOMME QUI AVAIT LU TOUS LES LIVRES
Policiers, essais, science-fiction, romance, fantasy, aventure, horreur, espionnage, biographies, contes, chroniques : la pile de livres sur la table basse s’élève à plus de deux mètres. Daël a fait le plein sur internet et en ce premier jour de vacances, il salive du plaisir anticipé de ces sensationnels récits. Il s’est installé confortablement dans son fauteuil, bières et cigarettes à portée de main et prend son temps pour choisir un premier ouvrage. Daël adore lire et l’année écoulée, sa contribution à un projet informatique pharaonique lui a laissé peu de temps pour se livrer à sa passion. Il est en manque de lecture.
Il se redresse satisfait, s’allume une cigarette et relit l’ébauche. Il sursaute sur sa chaise, n’en croit pas ses yeux : il a déjà lu ce bouquin ! Il hurle :
— Putain mais comment c’est possible ? C’est ma putain de vie que je raconte là.
Une question corollaire s’empare de Daël. Puisqu’il a déjà lu le bouquin de sa vie, qu’est ce qui se passe ensuite ? Que va-t-il lui arriver ?
— Bon, ça va j’ai compris, je suis complètement barré. Le psy va confirmer mon diagnostic, me filer un traitement de cheval et puis…
Daël se sent minable car, certes, il est certain d’avoir déjà lu le livre de sa vie, en revanche il ne se souvient plus de la suite. Son marque-page est resté bloqué sur maintenant. C’est à la fois rassurant car il reste au moins un livre dont il ne se souvient plus, et frustrant car Daël n’a absolument aucune idée de l’endroit où il pourrait trouver le livre de son existence. Dans tous les cas la sentence ne va pas tarder : dans moins d’une heure débutera son rendez-vous chez le psy.
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Le psychiatre a le teint subtilement verdâtre, il dévisage Daël d’un regard professionnel indéchiffrable.
— Alors comme ça vous avez lu tous les livres ? Eh bien nous allons voir ça. Je vais vous faire passer un petit test. N’ayez pas peur, ce n’est pas bien méchant. Je vais juste vous lire un extrait d’œuvre que je connais très bien. Puisque vous avez tout lu, vous connaissez forcément l’histoire, pas vrai ?
Tout en parlant, le psy clique sur sa souris. Sur son écran s’ouvre un petit texte de science-fiction qu’il a rédigé lui-même. Sa marotte : écrire des nouvelles. Il compte bien piéger Daël en lui lisant une de ses compositions jusqu’alors jamais éditée. Il ricane intérieurement de sa petite astuce.
— Bon ! Vous êtes prêt ?
— Oui ! répond Daël
Lentement, avec le ton, il déchiffre :
Dans un rire glacial, il arrache au moins 4 mètres de boyau. De toute façon, il n’en aura plus besoin. A nouveau l’ennui. Nerveusement, il fait des nœuds qu’il défait, roule et déroule le long morceau de plastique, puis, agacé, le glisse dans sa poche. Il ne sait plus quoi faire. Ses supérieurs, morts depuis longtemps eux aussi, ont peut-être surestimé sa force d’adaptation : ils n’ont pas prévu de procédure pour lutter contre l’hébétement. Il se rassure : mal de l’espace et mal du pays. Mal du temps qui sait. Une seule solution : anxiolytique. Trois cachets. Lentement la douleur se calme, surgissent alors d’amers regrets.
— Arrêtez Docteur, je l’ai déjà lu. Ça raconte l’histoire d’un astronaute normand qui, dernier espoir de l’Humanité s’envole à bord d’un vaisseau, dans une unité cryogénique, pour un voyage de 1800 ans vers une planète lointaine. A la fin…
— Ne me dites pas la fin malheureux ! s’exclame le toubib. Je ne l’ai pas encore écrite.
— Désolé !
— Bon, très bien reprend le psy. Votre cas est très clair. Ecoutez attentivement mes conclusions, je vous prie.
— Je suis tout ouïe, Docteur.
— Quelqu’un qui a lu tous les livres même ceux qui n’ont été ni écrits ni publiés, ça n’existe pas ? Vous êtes d’accord ?
— Oui, ça n’existe pas. Je vous suis.
— La conclusion est très simple : vous n’existez pas Daël !
— Ah, ce n’est donc que ça ! J’avais peur de souffrir d’une maladie mentale. Vous me rassurez Docteur. Quand je pense qu’à un moment j’avais envisagé de kidnapper un écrivain.
— Je suis content que vous le preniez comme ça. Certains réagissent plus mal que vous. Vous êtes très nombreux dans ce cas, vous savez ? J’ose même dire que vous êtes de plus en plus. Moi-même, je ne suis plus sûr de rien. J’ai cru à un moment tenir le rôle d’un psy dans un jeu vidéo de simulation de réalité. Peut-être est-ce bien la vérité au demeurant, mais j’ai un peu de mal à m’auto-diagnostiquer.
— Je comprends ce que vous voulez dire. De nos jours, les créations numériques paraissent tellement réelles. Et je sais de quoi je parle : l’année écoulée, j’ai travaillé sur un projet informatique pharaonique qui m’a laissé peu de temps pour me livrer à ma passion, la lecture.
— Et il traitait de quel domaine, votre projet informatique ?
— Je ne sais plus. Ça ne doit pas vraiment avoir d’importance dans le scénario.
— Vous avez raison. Vous payez par carte ?