MON PANTHÉON

Je vous ai déjà parlé de mon immense admiration pour Gotlib dans un article qui a eu un certain succès[1] : Madeleine et Marcel. Héros de mon enfance, s’il m’était possible de lui rendre un hommage officiel aujourd’hui, je lui offrirais une cérémonie toute particulière, pour l’installer en bonne place dans mon propre panthéon. N’y voyez nul rapport avec le vrai Panthéon, celui de Soufflot – en haut de la rue éponyme – où reposent les vrais héros de la Nation Française.

Ce panthéon dont je vous parle est peuplé d’étoiles désormais disparues, qui m’ont abandonnées à mon triste sort et sans qui la vie est nettement moins vivante. Je parle de ceux que j’aurais aimés rencontrer un soir autour d’un bon repas ou d’un bon vin ; ceux à qui, sans servilité et sans pudeur, j’aurais dévoilé mon infini respect. Ceux qui ont forgé mon esprit – mes maîtres – et qui pour la plupart étaient malheureusement déjà morts depuis longtemps avant ma naissance. Si l’occasion m’était donnée, je leur dirais droit dans les yeux que je ne leur reconnais aucun talent – ce serait insulter leur œuvre -, je ne leur accorderais que leur génie. Le talent et le génie, c’est ce qui fait toute la distinction entre un Aznavour, qui a galéré des années avant de voir sa certaine aptitude à la chanson reconnue et un Berlioz dont nous célébrons la mort aujourd’hui, pour la 150ème fois. Même si je ne suis pas un génie, quitte à vous paraître immodeste, je suis certain que mes héros sont dignes d’être vraiment panthéonisés, même si je ne ferais pas l’effort de vous le démontrer tellement cela me paraît évident. Je vous informe au passage que c’est déjà le cas pour deux d’entre eux et ce le sera probablement pour Berlioz, prochainement. Du moins je le souhaite[2].

*

J’ai vécu deux expériences particulièrement significatives, il y a quelques années en matière d’interview de rue. Ces expériences m’ont d’une certaine manière marqué car elles m’ouvrirent les yeux sur une pratique que, naïf, j’ignorais.

La première de ces expériences était une forme de sondage qui visait à déterminer quelle était la personnalité préférée des français. A cette question, un peu ironique, je proposais au jeune homme qui me la posait, un glorieux Marcellin Berthelot, le papa de la chimie organique, comme si cela allait de soi – c’est un de ceux dont je vous parlais plus haut et qui repose depuis des lustres au vrai Panthéon avec sa femme. Le sondeur interloqué me montra alors une feuille en me disant :

— Non, ça ne marche pas comme ça ! Il faut que vous choisissiez dans cette liste !

Liste qu’il m’exhiba alors devant les yeux.

— Ah oui ? Mais c’est n’importe quoi votre sondage ! Il n’y a même pas Edmond Malinvaud dans votre liste[3]. Pour ma part, mon vote va à Marcellin Berthelot ! Un point c’est tout ! Je ne donnerai ma voix ni à l’Abbé Pierre, ni à Francis Cabrel. Plutôt mourir !

— Tant pis, je vais trouver quelqu’un d’autre qui voudra bien jouer le jeu. Vous savez, c’est juste un petit boulot pour moi.  Je veux dire ce sondage… Vous ne me facilitez pas la tâche. Vous n’aidez vraiment pas !

Je pense encore aujourd’hui que j’ai eu raison de réagir comme je l’ai fait. Il est évident qu’en proposant aux sondés un choix limité de personnalités, on peut éliminer des personnages gênants ou qu’on ne veut surtout pas voir figurer dans le palmarès. Je crois que l’on appelle ça la manipulation de l’opinion, me trompé-je ?

La deuxième expérience de cette nature était un micro-trottoir. Deux charmantes jeunes filles, l’une tendant un micro, l’autre munie d’une caméra me proposèrent de poser une question à Philippe Gildas[4], invité ce soir là – ou peut-être un autre – d’une émission de la TNT. Je leur expliquais que cela me ferait plaisir car j’avais adoré l’époque « Nulle Part Ailleurs » de Canal+ et que je trouvais l’animateur très attachant. Je leur proposais de me laisser un instant réfléchir à la formulation de la question que j’aurais vraiment aimée lui poser.

— Non, ça ne marche pas comme ça ! Il faut que vous choisissiez dans cette liste ! Prenez une des trois questions là en bas, celles qui n’ont pas déjà été posées.

Véhémente la jeunette au micro m’exhibait sa saloperie de liste devant les yeux. Même réaction de ma part, je fus intraitable. Les deux gamines repartirent bredouilles en râlant : je leur avais fait perdre leur temps.

Par ces expériences je voulais vous montrer à quel point les héros qu’on nous vend ne sont que des constructions plus ou moins habiles des médias. Malins comme vous l’êtes, je suis certain que vous le saviez déjà ; pour ma part cela a pris un peu de temps. Je vous l’ai dit plus haut, j’étais naïf. Toujours est-il que quand j’ai fait ce triste constat, je me suis empressé de créer « Mes personnalités préférées » bien loin du mainstream désolant des médias grand public. En d’autres termes : mes vrais goûts à moi.

 Je suis conscient au moment où j’écris ces lignes que mon opinion ne vaut pas grand-chose – du moins pas plus que la vôtre – et que, finalement, mes héros ne valent guère plus que l’Abbé Pierre ou Francis Cabrel. Toutefois, j’ai effleuré le sujet plus haut, je ne voulais pas de personnages seulement visibles par leur talent ou des héros de circonstance qui par leur courage avaient accompli un acte héroïque ou défendu une cause. Non, je souhaitais rassembler de vrais génies, des femmes et des hommes qui ont réellement bouleversé la donne, apporté, par leurs idées en rupture, leur pensée supérieure, un réel changement de paradigme ; de vrais génies en somme.

Malheureusement, il y avait vraiment foule qui répondait au critère défini ci-dessus. Newton, Einstein, Euclide, Bach, Mozart, Beethoven, Pythagore, Thalès, Platon, Pascal, Descartes, Voltaire, Rousseau, Picasso, Dali, Vinci, Michel-Ange[5], Lang (Fritz pas Jack), Tarkovski, Molière, Shakespeare et tant d’autres que je chérissais et qui avaient des rôles des plus primordiaux dans l’histoire des sciences, de l’art ou de la pensée. Ces génies étaient donc bien trop nombreux. Je décidais donc de raccourcir ce recensement en choisissant un critère des plus subjectifs : mon cœur !

Encore une fois, il en restait beaucoup trop, je décidais donc ensuite de réduire cette liste à mes dix lumières en fonction de mon – exquise – sensibilité, qu’ex-post, je vous l’avoue, j’ai constatée un peu franchouillarde. Je ne vous ferai pas l’affront de vous décrire par le menu l’œuvre de ces illustres personnages et je vais donc me contenter d’en dresser le bilan que voici – sans aucune valeur hiérarchique :

Hector Berlioz

Charles Baudelaire

Pierre Desproges

Évariste Galois

Marcellin Berthelot

Marcel Gotlib

Odilon Redon

Marie Curie

Auguste Rodin

Jean Racine

Je vous l’accorde cette liste n’a aucun sens, comme tous les tops 10 dont on nous rebat les oreilles à longueur de journée, à la différence près que c’est mon top 10, celui de mes émotions, des mes choix, de mon vécu. Nous devrions tous faire cet exercice, plutôt que de nous conformer aux dictats des médias qui s’autorisent, à notre place, à déterminer nos goûts et nos choix.

*

Il y a quelques jours, la BBC retransmettait la symphonie fantastique. L’animatrice enthousiaste – je traduis[6] – déclara que lors de la première de cette œuvre – rue du Conservatoire – le public et la critique reçurent sa musique comme si jamais personne n’en avait composé auparavant. Voilà 150 ans que vous êtes décédé Monsieur Berlioz et pourtant j’ai l’impression que vous m’avez accompagné toute ma vie. Je ne sais pas si le Panthéon vous tente, peut-être qu’un petit coin tranquille à la Côte-Saint-André vous conviendrait mieux, ou tout simplement qu’on vous foute la paix au cimetière Montmartre. Dans tous les cas, reposez-en paix et soyez sûr de mon incoercible admiration.

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[1] Merci à vous tous !

[2] Merde ! C’est un incroyable prodige ! Déifié par tous les anglo-saxons, il serait peut-être temps qu’il soit reconnu dans son propre pays. Le dernier « vrai » hommage qu’on lui a rendu s’est déroulé lors de l’inauguration de l’Opéra Bastille. Son Te Deum était présenté ce soir-là. J’aurais payé une fortune pour y assister ; malheureusement la salle était réservée aux officiels, aux politiques, Mitterrand, Lang et leurs copains. La mort dans l’âme, je regardais donc le concert à la télévision. Quelle dérision ! La salle était à moitié vide !

[3] Private joke.

[4] C’était il y a quelques années.

[5] Michelangelo di Lodovico Buonarroti Simoni.

[6] Oui, je vous l’avoue, je comprends l’anglais.

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par Anders Noren.

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