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OBSOLESCENCE

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J’ai pris cette photo la semaine dernière sur le trottoir dégueulasse du Quai d’Austerlitz. Je déteste les décharges sauvages que ce soit à Paris ou à la campagne. De plus, il y a des poubelles partout dans le XIIIème. Alors pourquoi quelqu’un aurait-il été contraint de jeter toutes ces saloperies sur la chaussée ?

Mon premier réflexe fut donc de passer devant ce tas d’immondice et de  regarder plus loin – je ne suis pas indigné au point de prendre à ma charge le ramassage de ce genre de déchets. Toutefois, comme je suis curieux, je fis marche arrière. Peut-être que celui qui avait laissé cet amoncellement de cassettes pensait pouvoir intéresser un collectionneur, un fan ? Je vous avoue que même si je n’y connais rien, je suis prêt à parier qu’il n’y avait rien de bien intéressant dans le carton. Je n’y ai pas touché, j’en ai uniquement pris une photo.

Je crois, quand j’y pense, que ce qui m’avait convaincu de rebrousser chemin était une certaine idée d’un passé désormais révolu et d’essayer de comprendre pourquoi ce passé était toujours présent même sous forme de poubelles de nos jours. Je parle ici de ce passé où tous mes contemporains possédaient une radiocassette[1] qui les autorisait à capter les ondes partout où ils l’emmenaient. Ce passé où nulle technologie exceptée celle-ci n’était plus adaptée à notre besoin d’écouter de la musique ensemble. Cette technologie dont je m’étais débarrassé depuis plus de 25 ans. Un brin de nostalgie ? Je ne suis pas très sûr. Comment se faisait-il donc que de nos jours de tels stocks de cassettes audio subsistent encore ? Pour le coup, un certain mystère planait.

J’ai acheté mon premier lecteur de CD en 1988, il y a 31 ans. Je ne suis même pas sûr d’avoir été un pionnier en la matière – les premiers CD datent de 1982. À cette époque à la FNAC où je passais la plupart de mes samedis, les vinyles et les cassettes audio disparurent quasi-instantanément des rayons[2].  Depuis, sans chronologie, les CD qu’on pouvait graver, Napster, la Mule, les torrents, les DVD, Youtube, Deezer, Spotify, iTunes, les discmans, les iPods et les chaînes musicales, MTV en tête étaient apparus. Sans oublier, open-bar, nos merveilleux smartphones, sur lesquels nous avons accès à toutes les discographies. J’en oublie sûrement, mais il faut bien avouer que l’offre musicale s’est bien étoffée depuis l’époque glorieuse où un membre de la bande se dévouait, achetait le disque que nous convoitions tous et en faisait des copies sur les cassettes « 90 » réversibles que nous lui remettions. Les plus méticuleux de nos contrefacteurs traçaient religieusement, de leur plus belle écriture les titres des œuvres sur la jaquette prévue à cet effet – comme cela est le cas sur la photo d’illustration de ce post.

Au-delà de cette constatation, la misère de ce gâchis me conduisit tout naturellement à moi, donc à nous. L’Homme en tant que force de travail allait-il devenir aussi inutile que ce tas de cassettes ? La puissance d’un ordinateur est incomparablement plus grande[3] que celle d’un cerveau. Seuls les rêveurs pensent que ce n’est pas le cas. Nous allons être dépassés par nos machines que nous le voulions ou non. Ceux qui les contrôleront ne le feront pas pour notre bien. Si cela était le cas, ce serait alors l’âge d’or de l’humanité : seuls les rêveurs pensent que cela pourrait advenir. Je me vis alors, déclassé, abandonné sur ce trottoir du Quai d’Austerlitz. Peut-être qu’un observateur m’apercevant, après un réflexe de dégoût se rappellerait qu’il fut un temps où j’étais utile. Allez savoir !

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[1] Même si cela choque – en particulier mon correcteur orthographique -, c’est la règle « autoroute » qui s’applique : une auto, une route, une autoroute ; une radio, une cassette, une radiocassette.

[2] Les vinyles sont réapparus depuis : marketing « c’était mieux avant » qui, étonnamment, fonctionne avec ceux qui n’ont pas connu cet avant.

[3] J’adore ce genre de contradiction : si elle n’est pas comparable alors comment peut-elle être plus grande ?

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