LE CHEMIN DE LA MER – Chapitre 8 (1/3)

Les Vœux de Romary

(première partie)

Artus et Onésime Brunon avaient finalement trouvé refuge dans le bureau de ce dernier. Le lendemain Romary célébrerait ses 13 ans, l’hystérie de Clorinde avait atteint son paroxysme et contraint les deux hommes à se sauver.

— C’est une brave femme mais elle s’est tellement investie dans ces festivités qu’elle en devient insupportable. Elle veut tellement que tout soit parfait qu’elle risque bien de tout gâcher. Veux-tu boire quelque chose mon cher frère ?

Artus ne répondit pas immédiatement à la proposition, comme s’il en pesait les conséquences, puis :

— Un peu de vin me ferait bien plaisir Oné. Merci.

Onésime se saisit d’une carafe en cristal et remplit la moitié d’un verre finement ciselé qu’il tendit à Artus. La boisson était d’une couleur rouge orangée fort chaude à l’œil.

— Un vin des Terres Australes. Certes pas aussi exceptionnel qu’un Sextus millésimé ou un Château Lefol, mais très intéressant, à la fois séveux, charnu et capiteux ; et surtout cent fois moins cher que ces prestigieux vignobles malgré les coûts de transport.

— Tu m’impressionneras toujours Oné. Tu fais toujours d’excellentes trouvailles. Tu ferais un bien bon négociant. Je ne comprends pas au demeurant pourquoi tu n’investis pas dans cette industrie, avec ton flair et ta connaissance du produit tu ferais un malheur.

— Ne soit pas bête, je ne suis qu’un amateur, éclairé certes, mais amateur ; et puis j’ai déjà bien assez de travail avec les custodes. À propos d’investissement, j’avais une question à te poser.

— Si j’en ai la réponse…

— Bon, voilà. Tu connais mon trésorier, ce bon Héribert ?

— Tu me l’as présenté il y a quelques années de cela, mais je serais bien incapable de le reconnaître si je le croisais.

— Peu importe. L’autre jour, lors d’une réunion sur nos placements, il m’a fait part de son inquiétude quant à la solvabilité du bon Roi Alcar. Selon lui, la dette du Royaume pourrait représenter un risque si nous y sommes trop exposés.

— C’est une inquiétude légitime et ce, quel que soit l’état des finances du Royaume. A mon sens, comme on dit, il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier.

— Mais, toi qui voyages beaucoup, peut-être as-tu des informations, peut-être as-tu entendu des rumeurs ?

— Tout ce que je sais c’est que notre bon Roi est très dépensier ; et encore, cette assertion pourrait être facilement qualifiée d’euphémisme. Il entretient une horde de courtisans au château d’Operdir qui est, paraît-il, devenu un vrai lupanar. Il passe ses journées à participer à des orgies et à perdre des fortunes à des tables de Valet Renégat. Son goût pour la démesure le conduit sans cesse à plus de dilapidation. Il veut tout ce qu’il y a de plus beau, de plus cher…

— C’est le Roi après tout, c’est bien son droit, protesta Onésime.

— Je suis bien d’accord ! Mais outre le fait qu’il délaisse totalement les affaires du Royaume pour s’ébrouer dans la débauche, certains prétendent qu’avec son train de vie, il aura tôt fait de vider les caisses. Il engloutit les recettes fiscales beaucoup plus vite qu’elles ne sont perçues. Ce ne sont peut-être que des racontars…

— C’est bien la question ! Comment savoir la part de réalité de la situation.

— Si j’étais toi, je demanderais directement au trésorier d’Alcar, ce vieux renard de Lucas.

— Je n’oserais jamais, tu plaisantes Artus.

— Pourtant il me semble bien que c’est le droit de tout investisseur d’être informé de l’état des finances de ses débiteurs.

— Oui, certes, mais là le débiteur c’est le Roi, argua Onésime.

Artus fixa son frère un moment :

— Tu penses sérieusement ce que tu viens de dire Oné ? Le débiteur ce n’est pas le Roi, c’est le Royaume. C’est toi, c’est moi, ce sont tous les sujets. J’en veux pour preuve que si demain le Roi venait à mourir, la dette du Royaume ne s’éteindrait pas avec lui.

— Tu as probablement raison, mais je me vois mal effectuer une telle demande à Lucas. Cela paraîtrait malséant.

— Je te l’accorde, si celle-ci émane de toi. Tu n’as qu’à demander à ton trésorier de la faire pour toi. Comment s’appelle-t-il déjà ?

— Héribert !

— Tu m’as dit de plus que c’était son inquiétude à l’origine. Tu feras ainsi d’une pierre deux coups. Tu lui montreras que tu es à son écoute d’une part et tu le laisseras s’exposer personnellement sur la demande à Lucas d’autre part.

— Voilà qui est très habile Artus. Je ne manquerai pas de t’écouter. Un autre verre de vin ?

— Volontiers et après je file. La cérémonie de Romary commence tôt demain matin.

*

Au salon d’été Clorinde passait ses nerfs sur les domestiques. Elle était rouge comme une pivoine et hurlait d’une voix suraiguë :

— Qu’est-ce qui m’a fait une bande d’idiots pareils ? J’avais dit les roses à côté des arums pas à côté des glaïeuls. Les glaïeuls vont à l’arrière et les tulipes sur le devant.

Craignant les foudres de leur maîtresse, valets et servantes couraient en tous sens, les bras chargés de vases et de pots de fleurs. La panique et l’accablement se lisaient dans leurs yeux : leur patronne émettait en permanence des ordres contradictoires. Romary qui n’avait pas sommeil, choisit ce moment pour faire son apparition. Il cherchait quelque chose à grignoter pour tromper son appréhension et traversa le salon au son des hurlements maternels. Clorinde sentit sa présence bien qu’il passât dans son dos. Son ton s’adoucit immédiatement.

— Tu ne dors pas mon chéri ? Il faut que tu te reposes pour la cérémonie, demain.

   La domesticité profita de cette parenthèse pour souffler un peu ; depuis une semaine leur maîtresse leur menait la vie dure et tous étaient soulagés d’être enfin à la veille de la cérémonie. Cela ne signifierait pas nécessairement la fin de leurs malheurs, mais cela allégerait grandement leur charge de travail.

— Je suis préoccupé, Mère ! Je tourne en rond tout comme mes pensées. J’allais demander aux cuisines qu’on me prépare un petit en-cas.

— Toi, là dit-elle désignant une jeune fille rousse ! Ne reste pas plantée comme une sotte et va plutôt demander une assiette froide pour Maître Romary. Ah c’est tout de même malheureux d’avoir affaire à un tel troupeau d’empotés…

Revenant à son fils :

— Tu ne dois pas être effrayé mon chéri, la cérémonie va bien se passer. J’ai tout prévu en ce sens. Tu n’auras qu’à faire tes vœux… Au fait, tu les connais bien par cœur ?

— Oui Mère, je les ai encore répétés cet après-midi avec le Grand Prêtre. Ce n’est pas ça.

— Bon, donc tu récites tes vœux et ensuite les invités viendront te féliciter dans le Temple de Tarman et t’offrir leurs présents. Tu sais j’ai invité beaucoup de Nobles Gens, tout ceux qui comptent à Port des Dauphins et même bien au-delà. Tu n’as aucune raison de t’en faire.

Puis les larmes aux yeux :

— Je fais tout ce que je peux pour que tu sois heureux et voilà le résultat, tu t’inquiètes et tu ne dors pas. Quelle mauvaise mère, je fais…

— Ne vous accablez pas Maman, tout est parfait. Vous êtes la meilleure des mères. Je vais manger mon assiette et ça ira beaucoup mieux. C’est l’émotion, seulement l’émotion. Imaginer toutes ces personnes qui vont venir demain à la cérémonie me donne un peu le trac. Ce n’est donc pas votre faute. Vous avez juste un fils un peu trop sensible, voilà tout.

— La sensibilité est une qualité essentielle. Par certains, elle est même jugée comme une forme d’intelligence. Tu n’as pas à avoir honte de toi.

— Merci Mère. Vous êtes si rassurante. Je me demande ce que je ferais sans vous.

— C’est le rôle d’une mère de prendre soin de son fils, tu n’as pas à me remercier de faire mon devoir. C’est moi qui devrais te remercier d’être un aussi beau et intelligent jeune homme. Peu de mères peuvent se vanter d’avoir autant de bonheur.

— Je ne suis en rien responsable de votre bonheur. Vous êtes une si fervente fidèle de Tarman qu’il vous récompense de tous vos bienfaits, c’est une évidence.

— Tu as peut-être raison ; mais, même si j’adore Tarman du plus profond de mon cœur, tu restes et tu resteras la plus grande joie de toute ma vie. Tu ne peux même pas imaginer à quel point je t’aime. J’abjurerais ma religion si cela te faisait plaisir.

— Je ne vous demanderai jamais une chose pareille, Mère. Je suis moi aussi très croyant. A ce sujet j’aurais aimé vous dire…

Interrompant Romary, la servante rousse revint avec un plateau sur lequel reposait une assiette en porcelaine débordante de tranches de rôti de porc et de bœuf, un verre de vin rouge et une salade de crudités fort appétissante. En silence elle le plaça sur un guéridon à proximité du jeune maître. Celui-ci, sans la regarder lui ordonna :

— Dépose plutôt cela sur la table de chevet dans ma chambre. Je mangerai plus tard.

La rouquine toujours sans un mot, s’éclipsa vers les étages. Clorinde reprit :

— Tu aurais aimé me dire ?

Romary qui allait annoncer sa décision de se tourner vers la prêtrise à sa mère avait subitement perdu tout courage.

— Euh ! Non, ce n’est rien Mère !

— Tu es sûr ?

— Tout à fait ! Je vais monter dans ma chambre, manger ma collation et enfin trouver le sommeil. Bonne nuit Maman.

— Oh, tu es si grand ! Baisse-toi un peu que je t’embrasse. Bonne nuit mon chéri.

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par Anders Noren.

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